Paris, 31 mars 2017

Dans le cadre de la 2ème édition du Forum de la Gestion Privée organisé par l’Agefi le 27 mars dernier, l’Agefi a réalisé une enquête en ligne visant à prendre la température auprès des Banques Privées de l’avancement de leur projet MiFIDII, sur base d’un questionnaire réalisé par nos soins.

Sur le bienfondé de la réalisation d’une enquête sur l’incidence de la directive MiFID II sur le modèle des banques privées, je vous invite à (re)lire mon papier déjà paru ici.

Lors de la première table ronde du Forum dédiée à la directive réglementaire, j’ai eu l’occasion de commenter les résultats de cette enquête, dont voici la synthèse, les réponses des 40 participants ayant été riches d’enseignement, bien sûr...

Mais la demi-journée consacrée aux enjeux de la profession me permet aussi de revenir sur quelques uns de leurs enjeux et je le fais ici en suivant le déroulé de la matinée.

 

La gestion privée, une profession sous pressions

« La gestion privée face à une équation darwinienne ? » En posant cette question, Sébastien Lacroix a donné d’emblé le ton de l’événement. Car si les enjeux abordés ne sont pas nouveaux - réglementation, digitalisation, générations Y et Z sont devenus des sujets marronniers ces dernières années -,  force est de constater l’accélération des tendances et leur concomitance qui mettent à mal la profession.

MiFIDII, l’heure du grand saut

On comprend mieux l’effervescence des Maisons quand on sait qu’elles sont 35% à avoir lancé leur projet MiFIDII cette année seulement et 30% l’an dernier. Bien sûr, certains acteurs se justifient en alléguant la non stabilisation des textes et Philippe Sourlas reconnaît que si l’on a désormais une bonne visibilité sur les dispositions de niveau 1 et 2, les textes de niveau 3 ne sont pas encore arrêtés. Heureusement, fin mai le voile devrait être levé sur certaines orientations en matière de gouvernance produit et de communication portant sur les coûts et charges. Christine Calvet confirme, en effet, les attentes de la profession : « en matière de gouvernance produit relative à la GSM, à quel niveau de détail convient-il de prendre en compte les coûts et les charges ? ». Un sujet d’autant plus délicat que les réglementations DDA et PRIIPs entreront en vigueur à la même date.

Où en sont les autres places européennes ? Dominique D’Arrentières, dont la société ERI Bancaire sévit aussi à l’international, considère qu’aucun marché ne se distingue particulièrement et qu’au contraire, tous sont en quête de réponses et retours d’expérience. Revenant sur notre marché domestique, l’enquête menée auprès des membres de la profession par l’Agefi en association avec le cabinet de conseil amGroup livre quelques enseignements intéressants. A commencer sur le thème central des rémunérations car l’enjeu économique est bien l’enjeu n°1 de MiFIDII même si son impact est extrêmement différent selon les  business models des Maisons. Il convient donc de définir la bonne rémunération, ce qui suppose préalablement de définir la bonne offre ; en ayant présent à l’esprit que tout conseil en investissement devra être délivré dans le cadre d’un mandat, en prenant position sur la fourniture d’un conseil indépendant ou non indépendant, en faisant montre de cohérence au regard des postures et pratiques commerciales jusqu’alors en vigueur. Sans perdre de vue non plus les principes de gouvernance produit qu’il faut rendre compatibles avec un environnement de taux bas ; d’où le débat autour de la présence de produits à risque dans les stratégies d’allocation destinées à des profils prudents. En GSM, la suppression des rétrocessions pose la question de l’architecture ouverte et du transfert des parts chargées vers des parts non chargées, et certaines Maisons envisagent d’augmenter leur commission de gestion ; que celle-ci soit incluse dans un forfait ‘all in’ ou pas. Aussi peut-on légitimement se demander si MiFIDII ne va pas à l’encontre de l’objectif affichéquand on entend  parler de l’appauvrissement des univers d’investissement, de la simplification des gammes, du repli sur les offres Maison ; sans compter les Directions Générales qui mettant la pression sur la rentabilité : l’intérêt de la banque peut prévaloir sur celui du client dans ce délicat exercice Marketing.  

A 9 mois de l’échéance, au-delà des multiples points encore en suspens, c’est cette nouvelle vérité des prix qui devient le défi premier auxquels sont confrontés les banquiers privés, ce qui pose la question de la conduite du changement. Souvent peu associés aux réflexions et travaux à ce jour, ce sont pourtant eux qui seront en première ligne le 3 janvier 2018 face aux clients de la banque.

Digitalisation, une révolution en marche

Flash-back : l’arrivée des smartphones a donné l’impulsion aux projets digitaux dans la banque et la banque de détail a précédé la banque privée, jouant ainsi le rôle de laboratoire. Mais BNPP Wealth Management est allée un cran plus loin, explique Sofia Merlo, au regard des montants en jeu et des exigences y afférentes. 2017 signe la saison 2 du grand feuilleton digital de la banque qui, ayant interrogé ses clients sur les nouveaux services auxquels ils aspiraient, a réuni dans une démarche de co-construction quelque 200 collaborateurs et 60 clients au sein de ‘pizza teams’ pluridisciplinaires. Si chez Oddo les ressources allouées sont bien moindres, là aussi « on est reparti de la vraie vie », témoigne Laurent Bastin, en cherchant à faciliter celle des clients et celle de leurs banquiers privés ; sachant que l’enjeu stratégique est de redonner du temps commercial à ces derniers. Quand Jean-Philippe Desbiolles introduit les systèmes cognitifs dans le débat, il ne parle pas d’autre chose, lui aussi, que d’expérience client que les établissements cherchent à rendre plus heureuse car plus personnalisée, plus fluide, plus consistante. Et Patrice Henri nous rassure : « la Banque Privée ne sera pas disruptée », personne ne croit à sa totale désintermédiation. En revanche, la profession ne survivra pas non plus si elle ne s’équipe pas en outils digitaux pour relever les défis du réglementaire, bénéficier d’une vision 360° des avoirs, gérer ceux-ci dans une vision ALM par projet. Là aussi une conduite du changement s’impose au sein des Maisons. C’est la condition sine qua non pour que les banquiers privés comprennent que les aménagements apportés à leur feuille de route sont censés créer davantage de valeur encore pour leurs clients parce qu’ils vont gagner du temps, de la fiabilité, de la profondeur d’analyse, de la pro-activité. Ne perdons pas de vue non plus l’enjeu économique. Patrice Henri, qui rappelle l’impact du coût réglementaire sur le ROA des banques privées, annonce la fin de l’espace prix ;en revanche, « le digital apporte l’espace marge ». De l’opportunité de créer des services supplémentaires pour le client et de les lui facturer, même si en France, culturellement, c’est compliqué. 

La gestion privée, une profession en mutation forcée

« S’agit-il d’une mutation ou d’une transformation qui est en train de s’accélérer ? » interroge Philippe Loiseau qui rappelle au passage que Big Data et Robo Advisor ne sont pas des nouveaux nés. En revanche, les digital natives qui arrivent sur le marché expriment de nouveaux besoins ou attentes et leurs aînés ne sont d’ailleurs pas en reste. Patrick Folléa partage sa vision optimiste considérant que l’évolution réglementaire ne suit pas une courbe exponentielle et que le digital favorise la création de nouveaux services pour les clients. Ce qui est prometteur pour une industrie challengée depuis la crise pour se réinventer. Loin de subir les dictats du réglementaire et du digital, la Banque Neuflize OBC a pris les devants et s’est lancée dans un véritable processus de transformation, y compris numérique, très orientée client. Des clients qui, selon Gilles Dard, auront, in fine, le meilleur des deux mondes : la sublime offre Internet et l’offre d’une banque privée prestigieuse dont la marque continue de faire rêver. Alors la profession comptera-t-elle des morts ? Les avis sont nuancés. Philippe Loiseau explique que, globalement, la Banque Privée va devoir renoncer à son métier de producteur pour se concentrer sur celui de distributeur. Face à lui, le client disposera de toute la transparence requise et se verra proposer une gestion de ses projets de vie, quelle que soit l’importance de son patrimoine. Patrick Folléa, qui se méfie des discours sur la fameuse taille critique, privilégie le concept de cohérence : ‘cohérence marketing’ entre la proposition de valeur et le segment clientèle qu’elle adresse ; ‘cohérence managériale’ consistant à choisir les bonnes personnes, les former et les faire travailler ensemble. Gilles Dard, en tant que dirigeant d ‘une banque étrangère, s’inscrit dans une logique différente sur le marché français et, confesse-t-il, « faire tourner un P&L avec MiFIDII, c’est quand même vertigineux ». Il faut donc se montrer très malin et très agile.    

Quel est le visage de la Banque Privée dans 5 à 10 ans ? Il y a consensus sur l’importance du capital humain et sur l’organisation d’une banque autour de la relation client dont le digital viendra enrichir la qualité. De là à imaginer que l’intelligence artificielle prenne le relai pour remplacer les experts, et Patrick Folléa de mentionner l’ingénierie patrimoniale, le point fait débat. Sophie Breuil, qui met en avant à la fois la dimension du relationnel et celle de l’expertise, insiste sur un conseil expert délivré par l’homme et non la machine. Gilles Dard imagine, quant à lui, qu’il y aura 50% d’acteurs en moins et 50% de nouveaux acteurs ; une vision que partage Philippe Loiseau tout en ramenant l’horizon à quelques années seulement : « les Banques privées n’ont pas un sentiment d’urgence alors que la pression est là, extrêmement vivante » alerte-t-il.