Paris, 13 novembre 2015

Ah ceux qui ne voyaient dans MiFID II qu’une simple évolution de MiFID I  et, ce faisant, une couche supplémentaire de contraintes rendant l’exercice de son métier toujours plus pesant car administratif, avez-vous eu raison de vous réjouir (le cri de joie que vous avez poussé alors est parvenu jusqu’à nos oreilles) à l’annonce, mardi 10 novembre, du report d’un an de l’échéance réglementaire envisagé par Martin Merlin, responsable des marchés financiers à la Commission européenne ? Pas sûr … Nous ne saurions que vous encourager à (re)lire les textes - vous en avez désormais le temps - avec d’autres lunettes, histoire d’en bien comprendre l’esprit.

MiFID II est une des pièces maîtresses de la réforme des marchés financiers et touche à la fois les acteurs, les fonds et les infrastructures de marché. C’est pourquoi loin d’être une simple évolution, c’est une révolution ! Laissons de côté la redéfinition des infrastructures de marché et concentrons-nous exclusivement sur la protection des investisseurs que les autorités de tutelle ont souhaité renforcer davantage encore, suite à la crise financière de 2008.

MiFID II fait de l’exigence de transparence et du traitement équitable de tous les participants des marchés - producteur, distributeur, teneur de compte - l’un de ses principaux objectifs.  A ce titre, chaque acteur de la chaîne se retrouve avec son lot de devoirs et d’obligations et tous sont solidaires face à l’investisseur. Et les FinTechs et autres robo advisors qui se prévalent d’avoir, eux aussi, un rôle à jouer aux côtés ou à la place des producteurs ou des distributeurs - c’est selon - ne sauraient y déroger, qu’on se le dise. Ainsi,

      le producteur a un enjeu de clarification de la proposition de valeur qui le conduit à une rationalisation de l’univers d’investissement, d’une part,  à une segmentation plus fine de son offre selon les clientèles visées, d’autre part. Un travail que la raison devrait le pousser à faire en collaboration avec ses distributeurs…

      le distributeur a un enjeu de traçabilité de la proposition de valeur qui se traduit d’une part, par un KYC amélioré de son client ainsi que le suivi dans le temps de l’adéquation entre son profil et la proposition d’investissement qui lui a été faite et, d’autre part, par une recherche de contractualisation maximale de la relation

      le dépositaire teneur de comptes a un enjeu de transparisation des reportings qui doit garantir la production d’une information lisible, transparente et pédagogique dans des formats qui conviennent aux parties prenantes, aux clients, aux régulateurs

En conséquence, il s’agit de valoriser au juste prix le conseil en investissement, au cœur de la proposition de valeur des membres de la profession, et de définir le partage des rôles et des responsabilités respectifs du producteur et du distributeur de façon telle que leurs positionnements respectifs soient lisibles sur la chaîne de valeur. Ainsi qu’au regard du conseil indépendant.

Franchement, sous cet éclairage, peut-on encore nier ou ignorer que MiFID II n’est pas juste un exercice de mise en conformité de plus ?

Osons le dire : MiFID II comporte de vraies implications stratégiques dont certaines sont susceptibles de conférer aux Maisons qui auront pris de l’avance un avantage concurrentiel ou, à tout le moins, un gain de revenus significatif. Pourquoi ?

Parce que ceux qui auront retravaillé leur univers d’investissement en activant le levier du mix produit sont susceptibles d’une part, de séduire les clients par une proposition de valeur qui joue la carte de la diversification et de la différenciation et, d’autre part, de compenser au moins partiellement la perte de PNB induite par la suppression des inducements en gestion sous mandat.   

Parce que ceux qui seront à même de revenir vers leurs clients - et notamment la grande proportion d’entre eux qui sont aujourd’hui en gestion libre - avec une nouvelle offre de conseil en investissement se déclinant autour de différentes options fonction de leur profil d’investisseur mais surtout de l’intensité du conseil et de l’étendue des services désirés auront plus de facilité à les convaincre de basculer en gestion conseillée ou discrétionnaire. Autrement dit, de générer des revenus là où la gestion libre, par nature non contractualisée, était aussi non rémunérée et, accessoirement, porteuse de risque.

Parce que ceux qui se seront positionnés au regard de la dépendance/indépendance du conseil auront pu travailler leur discours et leur posture tant vis-à-vis de leurs clients et prospects que de leurs partenaires. Et à l’heure où la profession, dans son ensemble, semblerait convaincue de la nécessité de communiquer et de faire savoir, c’est là aussi un atout indéniable.

Last but not least, il s’agit aussi dans ce chamboulement réglementaire de repenser le métier même du banquier privé. Quelle que soit la place que vous allez lui réserver dans la stratégie commerciale et relationnelle de votre Maison, on sait qu’il ne sortira pas indemne de la transformation qui est en train de s’opérer dans votre organisation. Outre un nécessaire supplément de motivation,  il aura à faire preuve de pro-activité, à composer davantage encore avec les experts, il devra suivre un nouveau circuit d’approbation des produits, intégrer de nouvelles exigences sur le profiling client et les tests d’adéquation et moins de possibilités d’exemption pour l’Execution Only, il ne pourra notamment plus, au quotidien, délivrer de conseil en investissement à ses clients. En tous cas, pas sans un cadre extrêmement normé et qui plus est, formalisé.

Parlons-en de l’effort de formalisation qui vous attend. La simple mise à niveau des éléments de communication aux clients - conventions (gestion, conseil, TCC), reportings, plaquettes marketing -est colossale. Vous avez pensé à renforcer vos équipes support en conséquence ? Vous savez comment vous allez organiser les séances non pas de dédicace mais de signature des avenants contractuels ?

Alors qu’il reste finalement un ou deux ans avant la date de mise en place de MiFID II, peu importe ! D’autant plus que la DDA suivra dans la foulée et que MiFID III finira aussi par pointer son nez. Aussi nous semble-t-il urgent pour chaque Maison de définir ses priorités, au regard de sa stratégie commerciale et relationnelle - tant vis-à-vis de son stock de clients que de ses futures cibles -, de ses propositions de valeur, du modèle économique qui sous-tend son développement, de la gestion de son capital humain et, s’il fallait rajouter encore un peu plus de complexité, de sa stratégie numérique. Parce que si vous étiez présents à notre 10ème Journée de la Gestion Privée en septembre, vous auriez entendu cette douce musique jouée par certains de vos pairs : la réglementation ne pourra voir le jour sans le digital

https://www.youtube.com/watch?v=FfBQ3bNNwHs