Paris, 22 mai 2023

Le mécénat doit-il revenir dans la RSE ?

« Pourquoi sommes-nous en France le pays le plus redistributeur du monde avec le Danemark et le dernier pays en matière d’égalité des chances avec la Hongrie ? ». C’est avec cette question que Denis Metzger[1], Président fondateur de la Fondation BreakPoverty, a démarré son intervention, vendredi dernier, à l’occasion du Webinaire mensuel d’Actualité Durable EcoLearn animé par Patrick d’Humières où il partageait l’affiche avec Yann Queinnec[2], délégué général d’Admical. Et l’entrepreneur engagé de poser d’emblée le débat : vouloir aujourd’hui régler le problème de l’ascenseur social passe essentiellement par l’engagement des entreprises ; car l’Etat n’y arrivera pas, les Collectivités pas davantage, s’il n’y a pas un engagement collectif des entreprises sur ce sujet primordial qu’est l’avenir de la jeunesse.

Le mécénat d’entreprise en France : le social est très sous-valorisé

Pour remettre le mécénat d’entreprise dans son contexte, appuyons-nous sur le Baromètre du mécénat d’entreprise en France publié en 2022 par l’Admical ; les quelques métriques listées ci-dessous sont assez éloquentes :

  • En 2021, 3.6 milliards d’euros ont été consacrés au mécénat d’entreprise
  • Plus d’un tiers des entreprises donatrices ne font pas jouer le mécanisme de réduction d’impôt sur les sociétés : sur les 3.6 Mds seuls 2.3Mds ont été déclarés ; ce qui tend à confirmer, d’une part, que ce qui amène les entreprises à s’engager dans des actions de mécénat sont ailleurs et, d’autre part, le potentiel de développement considérable du mécénat dans notre pays
  • Seules 18% des sommes collectées vont au social, les entreprises préférant s’engager dans la lutte contre la pollution, le recyclage ou la planète ; c’est bien là le reflet d’une prise de conscience généralisée de l’enjeu environnemental
  • Le tissu des entreprises mécènes - on en compte 108.000 - est constitué à hauteur de 95% d’entreprises qui ont moins de 100 salariés
  • Au total, ce sont 9% des entreprises françaises qui ont franchi le pas du mécénat versus 59% des entreprises aux Etats-Unis

Il existe, bien évidemment, des disparités régionales ; à Lille, Nantes, Lyon, il existe un mécénat actif lié à l’histoire, « à du patronat chrétien qui fait qu’on a façonné au XIXème siècle une espèce de patronage qui protégeait les salariés en matière d’action sociale, notamment de logement » explicite Denis Metzer.

Autre fait marquant : depuis 30 ans, les entreprises ont cherché à limiter leur engagement sociétal en l’externalisant ; en témoigne le fort développement des fondations d’entreprises. Deux raisons sont invoquées par Denis Metzer :

  • Une bonne raison : pour limiter leur risque fiscal, le don n’étant pas dans l’objet statutaire des entreprises devient lisible, on préfère l’externaliser dans une fondation
  • Une mauvaise raison : il s’agit d’externaliser une action jugée ‘futile’ puisque le don ne correspond ni au core business tel que l’entreprise le conçoit, ni au principe de rentabilité ; la création d’un véhicule philanthropique permet ainsi d’éviter de se mettre en porte à faux avec le respect de l’objet social de l’entreprise et/ou avec des décisions qui pourraient être considérées comme contraires à ce dernier

Le mécénat doit-il être encouragé dans le cadre de la réflexion sur le partage de la valeur ?

Pour Denis Metzer, bien évidemment il doit l’être dans la mesure où « le don d’entreprise est un acte fondateur de l’engagement désintéressé ». Or le constat est sans appel : nombreux sont les engagements soit intéressés, soit proches du greenwashing. Et l’entrepreneur humanitaire d’opposer le don définitivement désintéressé de 50K€ aux Restos du Cœur quand on est le Crédit Agricole à une ristourne plus importante faite à ses fournisseurs ou à l’augmentation de sa production Bio ou encore au versement à ses salariés de la prime Macron pour compenser l’inflation qui sont, qualifie-t-il, « des actes de bonne gestion à l’usage humain qui règlent plus un rapport de force de façon intelligente et humaine qu’ils ne relèvent d’un engagement sociétal de l’entreprise ». Convenons que ce débat sur le partage de la valeur est politique voire idéologique, dans un pays qui est le recordman de la redistribution sociale ; laquelle pèse quelque 700 milliards d’euros, soit 10% de la redistribution sociale du monde entier …

Le mécénat s’inscrit-il dans une démarche RSE ?

Yann Queinnec considère également que « le mécénat, c’est le désintéressement » et, poursuit-il, « la RSE, c’est très intéressé ». En effet, celle-ci est appréhendée de plus en plus comme une contrainte légale là où elle doit aller au-delà du respect des règles de gestion des risques et, de façon plus volontariste, s’engager sur des objectifs d’impact : « c’est ici que la conjonction avec le mécénat peut trouver tout son sens, l’action de mécénat étant potentiellement un outil très complémentaire des autres actions de RSE pour atteindre un impact plus important ». Malheureusement, les pratiques observées aujourd’hui tendent à montrer que la frontière du désintéressement et de l’intérêt est assez poreuse. De la nécessité de revenir sur les fondamentaux de la Loi PACTE et de s’attarder davantage sur le 1er étage du dispositif quand les 2ème et 3ème sont plus fréquemment évoqués à travers respectivement le concept de raison d’être et la qualité d’entreprise à mission. Le 1er étage est, en effet, essentiel puisqu’il modifie l’ADN même du contrat social de nos entreprises en leur imposant d’être gérées dans l’intérêt social en prenant en compte les enjeux environnementaux et sociaux. Concrètement, cela se traduit dans le dispositif de gouvernance des entreprises où chaque décision de gestion doit être prise à l’aune de l’intérêt strictement financier et économique d’une opération mais aussi avec ses impacts sociaux et environnementaux. Et Yann Queinnec de conclure que lorsqu’on est sur une RSE volontaire, le levier du Mécénat est un levier à disposition qu’il convient de déployer de façon beaucoup plus profonde qu’aujourd’hui ; mais, qu’en aucun cas, « le mécénat ne doit compenser une RSE faible ! ». Vouloir utiliser le mécénat comme outil compensatoire d’une RSE qui ne déploie pas les ressources appropriées pour gérer les risques reviendrait, selon lui, à franchir la ligne rouge …

Comment développer cet engagement citoyen de l’entreprise ?

Les deux intervenants s’accordent sur la force de la culture collective, incarnée par le monde salarial qui interpelle plus que jamais les entreprises par « des coups de boutoir sociétaux qui se nomment grande démission, manque de main d’œuvre, peur de la notation des réseaux sociaux » et qui aboutissent à la même conclusion : il faut construire une marque Employeur. Une nécessité vitale pour cette nouvelle génération qui arrive sur le marché du travail, remet en cause le patronat « autiste » qu’on a pu connaître depuis que les entreprises existent et qui appelle de ses vœux l’engagement social de celles-ci.

Bien entendu, ce mouvement doit s’accompagner de dispositifs ad hoc qui restent à créer car « ce n’est pas le métier de l’entreprise que de faire du social » d’autant plus qu’elle repose sur un monde associatif qui n’aime pas beaucoup l’entreprise - doux euphémisme - et qui n’aime pas le profit. Il faut donc construire des ponts entre ces deux mondes, sachant que le monde des entreprises souhaitant s’engager le fera dès lors que les actions correspondantes auront  des résultats tangibles, mesurables. De même, rappelle Denis Metzer, « il ne faut pas oublier les incitations » et c’est le rôle de l’Etat, qui se désengage de beaucoup de missions sociales, de penser celles-ci sinon « sans incitation, le chef d’entreprise va se mettre dans une posture où il n’a pas envie de s’engager à la place de l’Etat […] Il se dira : je suis assez taxé comme cela, ce n’est pas à moi qui suis déjà taxé et qui soutiens ces actions sociales par mes financements en plus d’agir concrètement ».

Yann Queinnec est également en faveur d’un régime fiscal facilitateur. En revanche, il attire l’attention sur le sujet des ‘contreparties’, « une donne qui est sans doute allée trop loin » quand on considère les tolérances admises par Bercy[3]. En effet, on peut légitimement s’interroger sur certains engagements pris, dans le domaine de la culture notamment, qui relèvent davantage d’une action de parrainage ou de sponsorat que d’une action de mécénat par nature désintéressé. Et il nous invite à prendre connaissance de la Charte de déontologie du mécénat d’entreprise rendue publique en octobre dernier et qui est assez insistante sur ce sujet-là. Un document qui questionne également sous l’angle de ce que les entreprises peuvent attendre des porteurs de projet qu’elles financent en termes de contraintes. Souhaiter des preuves de leur impact pour permettre de s’en prévaloir est une bonne chose dans l’absolu mais, en aucun cas, ne doit conduire à une forme d’ingérence qui  impose aux associations de se doter de ressources dont elles ne disposent pas. C’est là où dans le cadre du Mécénat de compétences, qui a le vent en poupe aujourd’hui dans les entreprises, des collaborateurs peuvent être mis à disposition pour inculquer cette culture du résultat aux associations bénéficiaires via un transfert de connaissances en matière de business plan et de reporting.

On l’aura compris, les marges de progrès sont significatives pour toutes les parties prenantes. Dans ce contexte en transition, une conclusion s’impose : il convient d’encourager le mécénat collectif territorial en créant des passerelles entre associations, collectivités locales et entreprises ... à l’instar de Break Poverty Foundation.

 

[1] Denis Metzer est également Chairman chez Chequers Capital, Président d'Honneur d’Action contre la faim   

[2] Yann Queinnec est aussi membre du comité de sélection de La Caserne, Membre du Collège personnalités qualifiées au FIR 

[3] Cf. Loi Aillagon qui fête ses 20 ans cette année