Luxembourg, 27 mai 2014
En observateur avisé des places sur lesquelles il exerce ses talents, Bernard Herman nous revient avec une mise à jour de ses « nouvelles du monde » qu’il avait bien voulu nous livrer fin 2013. Cette nouvelle livraison nous démontre, une fois de plus, combien changer de point de vue géographique peut se révéler utile sur notre secteur…

Back to London

En observant la décollecte massive en France ces derniers 12 mois, on constate que les flux sont partis vers Londres, pour partie, en tout cas. Il y a un vrai tropisme français à Londres actuellement avec des sociétés de gestion qui vont chercher des gérants français. En creux, cela veut dire qu’on aura peu d’innovation en France cette année et qu’en revanche, elle sera proposée aux clients français depuis Londres. Autrement dit, l’innovation déménage en 2014.

On note aussi que la place anglaise a une réglementation sévère, claire et stable, et que ces qualités sont appréciées des acteurs. Par ailleurs, les talents préfèrent aujourd’hui être rémunérés plutôt à Londres qu’à Paris. Le travail des gérants d’actifs en France n’est pas en cause, mais le modèle change…

Les anglais récupèrent aussi le business français parce qu’il y a de plus en plus de clients français qui structurent à partir de fonds qui sont domiciliés au Luxembourg ou qui font appel à la libre prestation de services à Londres. Et il y a de plus en plus de sociétés françaises qui s’y installent pour faire de la gestion d’actifs à partir de fonds domiciliés au Luxembourg pour ensuite les distribuer en France.

Enfin, les anglais récupèrent également un peu de business suisse en raison, notamment, d’une gestion peu inspirée de la problématique de la levée du secret bancaire.

Struggle for … life

L’actualité du moment, c’est aussi que les luxembourgeois vont devoir se défendre parce que le gouvernement belge a pris une disposition qui est contraire au droit européen. En effet, les assureurs-vie luxembourgeois opérant en libre prestation de services en Belgique ne pourront plus distribuer des fonds dédiés luxembourgeois, selon une loi belge publiée le 30 avril dernier. Sous couvert de protection accrue de l’investisseur, le gouvernement belge cherche plutôt à protéger son marché. Or, selon les experts en cette matière, il semble que c’est en fait le pays qui héberge la compagnie d’assurances qui est responsable de la supervision en termes de distribution de produits et non le pays de distribution. Ce qui ferait que la Belgique, en l’espèce, n’aurait pas de compétences pour instaurer des lois qui viennent modifier la disposition réglementaire du pays hôte.

Certains observateurs s’attendent que cela fasse tâche d’huile en Europe et notamment en France, pays qui pourrait être tenté de faire la même chose. Les autorités réglementaires françaises vont certainement observer et analyser le dossier de près. Ce qui est mis en cause, c’est bien sûr la souplesse des produits qui peuvent être gérés au Luxembourg qui ne sont pas disponibles dans les réglementations française ou belge par exemple, ce qui explique le succès luxembourgeois en la matière. Il est à noter que la Commission Européenne est un arbitre qui risque d’être plutôt favorable à la position luxembourgeoise, d’ailleurs. La France est en embuscade sur ce dossier, étant donné la taille du secteur de l’assurance vie dans le pays, et elle sera susceptible d’adapter sa réglementation compte tenu de ce qui sortira du dossier belge.

The Times they are a-changin’

Enfin, de l’assurance vie à la gestion privée, il n’y a qu’un pas et, en restant sur les pays limitrophes à la France, j’aimerais attirer l’attention sur le fait que le modèle de la banque privée explose actuellement. Ce sont les gérants de fortune, les family officers, aujourd’hui dans une logique d’accompagnement des clients, et les plateformes de services qui prennent la main, le marché n’ayant plus besoin de banquiers privés orientés « produits », que ceux-ci soient fabriqués dans leur usine ou achetés à l’extérieur. La banque privée, dans son modèle de fournisseur de gestion financière, est en train de s’étioler. Seuls les départements ou filiales de grandes banques persistent, fidèles à leur démarche de product push. Ce que ne font pas les sociétés de gestion privée qui n’ont pas les mêmes problématiques de taille, de rentabilité, de fonds propres. Aujourd’hui, tout le monde cherche des actifs à gérer quitte à acheter des banques et le modèle d’avenir n’est plus du tout celui des banques privées que l’on a connu mais bien celui des structures de gestion qui vont chercher de la prestation à valeur ajoutée chez les grands dépositaires comme State Street, Bank of New York ou Northern Trust. Ces derniers deviennent des tiers gérants, leur palette de prestations s’étant sensiblement élargie. Le besoin de services des grandes fortunes n’est plus une tendance mais un fait, en tout cas pour celles qui se situent au-delà de 5 millions d’euros d’actifs disponibles. En dessous de ce seuil, les clients vont rejoindre le « prime » des grandes banques qui disposera d’un guichet à part, soit, mais dont l’offre sera standardisée parce qu’en dessous de 5 millions, ce n’est pas vraiment rentable. Du coup, ceux qui tirent leur épingle du jeu sont par exemple les gros CGPI en France avec les produits de défiscalisation. Comme cette activité est plutôt complexe, on rentre dans une logique d’arbitrage, de conseil alors que les banques privées continuent à faire du product push.

L’avenir est donc entre les mains des gérants de fortune, des CGPI de taille et de compétences significatives et des plateformes de services, à l’instar du Comptoir Français de Petercam à Bruxelles, qui est une forme de multi family office haut de gamme. C’est ce genre de dispositif qui remplace de plus en plus souvent la banque privée outre-Quiévrain, sans avoir à gérer les problématiques de fonds propres et sans vouloir faire du change ou des opérations de salle de marché, ou encore de la collecte de dépôts.

Ce modèle de plateforme de services haut de gamme se développe fortement en Suisse, au Luxembourg et en Belgique, ne serait-ce que pour récupérer les clients qui ne veulent plus travailler avec les banques privées. La seule gestion financière n’est définitivement plus un atout, c’est devenu banal, il faut que le prestataire se lève tôt, fasse montre de créativité et maîtrise la fiscalité.