Paris, le 28 décembre 2017
Parce que MiFIDII est bien plus qu’un exercice de mise en conformité, eu égard à ses implications stratégiques pour l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur de la gestion d’actifs, Jean-Denis Bachot, Directeur du bureau de Paris de Fidelity International avait confié, début 2017, à amGroup la réalisation d’une enquête qualitative consistant à interroger quelques acteurs emblématiques de la place pour mieux comprendre et anticiper les besoins de ses partenaires distributeurs. Les principales conclusions qui se sont dégagées ont ainsi permis de nourrir les débats dans le cadre de la table ronde que nous avons animée le 28 juin dernier1. Et elles ont montré que bon nombre de questions étaient loin d’être résolues et/ou de faire l’unanimité. A l’heure des bilans et des mises en perspective, nous avons été tentés de faire un point d’étape avec Jean-Denis...
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Quel est votre bilan à quelques jours de l’échéance ?
Nous avions beau nous y être préparés, mon premier ressenti, c’est un accouchement dans la douleur, tant pour les producteurs que pour les distributeurs ; les modalités techniques ayant été diffusées tardivement, nous avons constaté une prise de conscience tardive des impacts et une forte hétérogénéité dans les modalités de mise en œuvre et les moyens sous-jacents.
Si l’on revient aux asset managers, il est évident qu’un tel défi réglementaire a fait bouger les lignes, en particulier dans les structures importantes. Au sein même de Fidelity, nous avons cherché à pousser à son maximum l’industrialisation de la mécanique, laquelle s’est traduite à la fois dans la conduite du projet et celle du changement, qu’il s’agisse des plans de charge exprimés en jours-homme ou des délais, courts par essence. Une telle approche de nos contraintes opérationnelles nous a permis de gérer au mieux les spécificités locales ; à titre d’exemple, je citerai l’Allemagne dont la transposition des textes requiert des données particulières. Et puis, je ne saurais être exhaustif sans mentionner l’embouteillage provoqué par PRIIPS. Là aussi, nous le savions, pour autant encore fallait-il passer à l’action pour traiter les deux réglementations en parallèle.
Du côté des distributeurs, si comme je l’évoquais plus haut j’ai le sentiment que les réalités sont très différentes d’une Maison à l’autre, force est d’admettre qu’il n’est pas toujours facile d’appréhender correctement leurs situations respectives en raison d’un manque généralisé de transparence, renforcé le cas échéant par l’intermédiation de plateformes sur lesquelles nous nous sommes appuyés pour transmettre le fichier EMT2. Heureusement, depuis cet été, un certain nombre d’interrogations ou suspens ont été levés et nous avons pu avancer sur les projets en impliquant davantage distributeurs et plateformes. La multiplicité des demandes qu’elles nous ont adressées s’est avérée moins floue aussi ; même si je garde présent à l’esprit l’un ou l’autre groupe dont les différentes entités émettaient des demandes très divergentes les unes des autres. Mais bon, dès lors que nous avons abordé des points ayant trait aux offres, aux tarifications, aux OST partielles, nous avons réussi à retomber sur nos pieds et ce faisant, la proximité avec nos clients s’en est trouvée renforcée. Ceci dit, je me demande comme toute la place quel sera l’impact, in fine, pour le client final et ce, dès 2018 ; alors que les distributeurs tendent à parler de Big Bang pour 2019, date à laquelle leurs clients recevront le premier rapport annuel récapitulant tous les frais.
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Quels sont les faits qui vous ont le plus marqué ces 6 derniers mois ?
Si les mois qui avaient précédé notre événement du 28 juin dernier avaient été propices aux réflexions devant déboucher sur des positions plus ou moins tranchées sur le plan des principes gouvernant les nouvelles offres notamment, nous avons senti au retour des congés d’été plus qu’une effervescence sur la place française et, sans nul doute, une mobilisation de tous les acteurs de la chaîne de valeur et de son écosystème pour passer à des considérations d’ordre plus opérationnel. En un mot, il s’est dégagé une convergence d’intérêt … Toutes choses égales par ailleurs, car tant les producteurs que les distributeurs ont continué à découvrir la réalité des textes et de leurs conséquences à des rythmes différenciés sur le 2nd semestre de l’année.
En tous cas, quand certains rêvaient encore d’un report d’échéance, nous étions la tête dans le guidon à effectuer un travail de décryptage extrêmement chronophage - et s’inscrivant dans un process itératif du fichier EMT. En effet, si les institutions de place et leurs associations respectives ont pu se mettre d’accord sur ce dispositif clé dans la gouvernance produit, encore fallait-il harmoniser les informations auprès des distributeurs, eux-mêmes ayant une lecture différente quant aux champs du fichier et au nombre de caractères requis. Rappelons au passage qu’il aura fallu attendre le 22 novembre dernier pour disposer d’un Q&A3y afférent. C’est dire la complexité d’un tel travail en amont de la mise en œuvre opérationnelle et même lorsque, à l’instar de Fidelity, les producteurs décident d’externaliser le transfert des données auprès de plateformes/Agrégateurs de données de type SIX Financial Information, MFEX, Morningstar, Deloitte etc. - ils ne sont pas à l’abri de déconvenues ; ce qui suppose aussi de prévoir un nombre significatif de tests et de contrôles. Et que dire des ‘coûts et charges ex ante’ qui ont longtemps monopolisé les attentions et les inquiétudes ; faute d’un alignement d’emblée de la place, le sujet a pris du retard et c’est devenu un véritable sujet de crispation pour l’industrie.
Résultat, du côté des producteurs, y compris de grandes Maisons accusent un très grand retard et du côté des distributeurs, tout en démontrant l’envie d’automatiser les process au maximum, ils adressent toujours autant de demandes spécifiques… par définition, difficiles à satisfaire.
Enfin, au moment de ce bilan, il me semble impossible de ne pas mentionner la fiscalité : c’est l’arlésienne ! Si l’on peut se réjouir que la DLF4 ait accepté d’étendre à 2018 la neutralité fiscale applicable aux échanges de titres d’OPC intervenus dans le cadre de MIF 2, pour autant l’obligation de similarité des caractéristiques entre les titres échangés n’est pas sans poser encore question. C’est ce que nous nous sommes attachés à faire lorsque nous avons lancé dans le cadre de MIF 2 la part N de Fidelity Europe début décembre. A l’exception des frais, cette nouvelle part est strictement identique à la part existante afin de faire bénéficier au client de la neutralité fiscale.
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Outre vos propres enjeux au titre de producteur, sur quels points en particulier avez-vous été amenés chez Fidelity France à accompagner vos partenaires distributeurs ?
Soucieux d’accompagner au mieux nos clients, ce qui suppose d’avoir une juste compréhension de leurs enjeux et de leurs préoccupations, nous avons effectué pour eux et avec eux un gros travail de décryptage, comme évoqué précédemment, et de communication. Notre position d’acteur international nous a permis d’aborder les différentes thématiques de façon ‘globale’ : les traiter au mieux au niveau européen tout en intégrant, bien sûr, les spécificités de chaque place. C’est pourquoi nous avons désigné chez nous un interlocuteur CRM privilégié, doté de l’approche Europe Continentale requise sur certains comptes et pouvant, de fait, être un point de contact unique pour nos clients. Qui a eu à cœur non seulement de leur apporter les explications souhaitées mais aussi de les simplifier, en particulier lorsque des plateformes étaient impliquées. Signalons à ce sujet, la nécessité de mettre en place des fichiers sécurisés via le protocole SFTP5 dans le cadre des transmissions de données.
Encore une fois, nous avons eu ce souci vis-à-vis de nos partenaires distributeurs de bien communiquer - via des courriers ad hoc -, de les informer sur toutes les évolutions techniques et ce, au fur et à mesure du déroulement des opérations. Le point de départ a, incontestablement, été l’événement organisé à leur attention le 28 juin dernier et qui a rappelé, si besoin était, que nous avions la volonté et l’ambition, au titre de partenaire bien souvent historique, de conserver ce statut privilégié. Aussi nous sommes-nous donnés les moyens de le mériter.
Car si l’on prend un peu de recul par rapport à l’enjeu réglementaire, il est évident que la rationalisation imposée en termes de coûts conduit à une concentration des asset managers opérée par les distributeurs, que l’on soit en France ou en Europe.
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Plus généralement, observez-vous des situations particulièrement préoccupantes, que ce soit chez vos concurrents asset managers ou chez vos distributeurs banquiers ou assureurs ?
Il subsiste, en effet, quelques sujets sensibles qui sont de nature essentiellement opérationnelle. La réconciliation des comptes en est un sérieux : une grande inconnue pèse sur la ségrégation entre parts chargées/parts non chargées et le paiement ou pas de rétrocessions. Dans certains cas, les situations vont se complexifier : par exemple, si des rétrocessions ont été versées alors qu’il ne fallait pas ; techniquement, comment procède-t-on ?
Autre interrogation qui me vient à l’esprit : comment nos distributeurs vont-ils pouvoir uniformiser les restitutions vis-à-vis des clients finaux ?
Il est clair que la réalité du terrain risque de nous revenir en boomerang dans les prochains mois. C’est pourquoi rien ne s’arrête le 3 janvier, mais tout commence…
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Zoom sur la transparence et la vérité des prix : pensez-vous qu’il s’agisse là du défi le plus complexe à relever par l’ensemble des acteurs ?
Le besoin de transparence pour l’industrie est une bonne chose. Il n’y aura pas de big bang mais la cohabitation de différents modes de pricing. La suppression des droits d’entrée et l’accessibilité des cleanshares sans contraintes de souscriptions minimales étaient par exemple un pré-requis important pour certains. Par ailleurs nous avons retravaillé les critères d’éligibilité des cleanshares et le fait d’avoir mené cette réflexion et ces travaux en amont avec les distributeurs a grandement facilité les échanges ensuite.
En revanche, une difficulté que nous avions peut-être sous-estimée, c’est concernant le marketing et la communication au sens large dans un environnement post MIF2. En effet, que le support utilisé soit numérique, on line ou sur papier, toutes nos communications vont devoir inclure de plus en plus de disclaimers et, de facto, disposeront de moins d’espace pour traiter des vrais centres d’intérêt de nos clients professionnels. Si ce rééquilibrage en faveur d’un affichage plus clair des risques est une bonne chose, il pose néanmoins la question de la synthétisation toujours plus difficile des messages à nos clients distributeurs. Trouver l’arbitrage entre pertinence de l’information, équilibre avec les risques inhérents à l’investissement en question et lisibilité du message, est un exercice devenu plus complexe.
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Comment voyez-vous les prochains mois ? Doit-on se réjouir du report de la DDA6 ?
Au risque de me répéter, rien ne s’arrête le 3 janvier mais tout commence ! C’est une véritable course contre la montre qui va se jouer car il convient de rattraper le retard observé. Dans un tel contexte, le report de la DDA permet de respirer … Même si l’on peut se demander si ce n’est pas reculer pour mieux sauter.
Maintenant il y a aussi un gap entre d’une part, nos interlocuteurs qui ont pris de la hauteur ou ont gardé une certaine distance qui leur donne une vision globale du puzzle et, d’autre part, les banquiers qui vont devoir traiter les clients ; on peut d’ailleurs prévoir que les banquiers soient amenés à réduire le nombre de rendez-vous clients eu égard aux nombreuses contraintes administratives très chronophages.
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Comment allez-vous poursuivre vos efforts en matière d’accompagnement des banques privées en particulier ?
La qualité de notre offre de gestion est le socle de notre proposition de valeur, même si le service et l’accompagnement y participent pour beaucoup aussi. Dans un contexte dans lequel les partenariats se resserreront, les asset managers qui auront les faveurs des distributeurs devront comprendre les enjeux de ces derniers, ainsi que ceux de leurs clients ; pour nous, cela veut dire : coller au mieux à leurs besoins d’allocation et de conseil, pouvoir les accompagner, à la fois dans le réglementaire et sur les composantes du marketing ou de la communication, en particulier sur l’axe digital.
Se montrer à la hauteur d’un tel challenge rend la Maison Fidelity plus flexible, sachant qu’elle a le know how. Notre industrie devient plus mature, c’est le sens de l’histoire et nous devons nous inscrire dans cette histoire en délivrant des services à valeur ajoutée et tarifés au juste prix. Comme en témoigne notre nouveau modèle de tarification de gestion active en actions.
1 MiFIDII : comment les banques privées appréhendent sa mise en application ; panel composé de Thierry Aubert (Groupe EDR), Jean-Denis Bachot (Fidelity), Y. Fouillet (BP1818) et Albin Lemoine (SGPB)
2 EMT (European MIFID Template) : support de transmission de données relatives à la clientèle cible (Target Market) et aux coûts et charges
3 Q&A : document ayant vocation à aider les producteurs et distributeurs à remplir et lire ledit fichier EMT
4 DLF : Direction de la Législation Fiscale
5 SFTP : Secure File Transfer Protocol
6 DDA : Directive sur la Distribution des produits en Assurance