Paris, 12 juin 2020

Le journaliste Matteo Ghisalberti animait, le 9 juin dernier à 14H30, une table ronde CityWire Virtual en présence de Silvia Bocchiotti, Conseillère auprès du Chancelier pour le Mécénat et la Philanthropie à l'Institut de France, Guillaume Brateau, Directeur Commercial de la banque privée de BNPP, Olivier Paccalin, Directeur des solutions de Gestion de Fortune chez SG Private Banking. Au regard du contenu et des échanges, il nous a semblé intéressant de vous en livrer un compte-rendu succinct.

 

> Quel est l’impact du Coronavirus sur votre entreprise ?

Plusieurs phases se sont succédé :

  • Une 1ère phase de sidération pour tous et la réassurance à apporter aux équipes que la priorité était donnée à la santé des collaborateurs et des clients ; d’où le même mot d’ordre : « tous les collaborateurs à la maison en télétravail » même si, précisent nos orateurs, il y a eu maintien sur site  de personnel pour gérer les opérations courantes dans le cas de SG, et pour accueillir les clients dans les agences et centres de banque privée dans le cas de BNPP
  • Une 2ème phase s’est traduite par un durcissement du confinement, facilité en cela par la banque de détail
  • Une 3ème phase de dé-confinement progressif se traduisant par la présence désormais d’au moins 30% des collaborateurs sur site, organisée notamment sous forme de rotation chez SG ; «  il convient de prendre en compte aussi les situations personnelles et les spécificités très locales » témoigne Guillaume Brateau

Et une formidable démonstration que ce qui était inimaginable avant la crise non seulement a été réalisé y compris dans le respect de la sécurité et de la confidentialité - deux fondamentaux de la Banque Privée- mais, en outre, le télétravail  a révélé aussi des aspects vertueux (lire ci-après). Et c’est tant mieux car « le télétravail est là pour durer » affirme Silvia Bocchiotti.

> Quelles ont été les principales préoccupations de vos collaborateurs ?

Bien sûr, mettre le télétravail au centre de l’organisation soulève différents sujets ne serait-ce que parce qu’il n’a pas plus été intégré dans les textes du droit du travail que dans ceux de la règlementation des marchés financiers. Sans compter que, souligne Olivier Paccalin : « le lieu de travail physique est égalitaire là où les conditions de télétravail sont très hétérogènes » ; il est clair que vivre son confinement à la campagne avec un poste de travail installé dans un bureau spécifique et isolé de l’espace de vie que partagent les autres membres de la famille n’a rien à voir avec un même poste de travail utilisé par tous au milieu de la pièce dans laquelle séjournent concomitamment les différentes générations constitutives du foyer. Il faut aussi de trouver les ajustements requis pour traiter le sujet de  l’éloignement et ne pas oublier les collaborateurs isolés.  Concernant les enjeux plus spécifiques à la Banque Privée, tous conviennent que le contact physique est important pour traiter de la complexité et donc nombreux ont été les banquiers privés à interroger leurs managers : « comment je reviens au contact avec mes clients ? ». Car si les mouvements tumultueux qui ont sévi sur les marchés en mars ont maintenu voire intensifié les opérations d’achat et de vente, le mois d’avril s’est plutôt montré atone, traduisant une forme de renoncement. Les appels passés aux clients ont davantage porté sur leur moral et leur état physique que sur leurs portefeuilles. Dans les enseignements et vertus à mettre en avant figure en premier chef cette belle solidarité entre les équipes d’une part, entre les équipes et les clients, d’autre part. « Les problèmes des uns ont été compris par les autres, le lien s’en est trouvé renforcé […] c’était une autre façon de faire équipe » témoigne Guillaume Brateau. Autres sujets d’intérêt : le Management à distance, le maintien de la cohésion sociale ou encore le pilotage de l’activité et sa relance.

> L’avantage de l’humain par rapport à l’Intelligence Artificielle est-il remis à jour ?

Premier constat : s’il y eu énormément d’engagement de la part des banquiers privés pour rester au contact des clients et les accompagner, pour autant, la Maison doit aussi apporter sa contribution pour fortifier ce lien, notamment via les outils digitaux. Car, nous dit Olivier Paccalin : «  la crise du COVI-19 a brisé un tabou, la Banque Privée n’est pas égale à  100% d’humain ! ».  C’est, en effet, la somme de toute une série de prestations désintermédiées - opérations courantes, conseil financier etc. - et de l’humain là où c’est nécessaire ; sachant que cette désintermédiation est conditionnée par une connaissance du client avérée. Et, en effet, confirme Guillaume Brateau, « le confinement nous a appris à décorréler les conseils et prises de décision de l’exécution » ; tant les banquiers privés que leurs clients ont reconnu l’efficacité de la signature électronique, par exemple. Silvia Bocchiotti prolonge le trait : en  cette  période où il faut repenser la planète, la vie, l’humain et dans des métiers où il faut s’organiser autrement, là où la gestion de fortune se traduisait jusqu’ici par une très grande proximité client  et de nombreux échanges physiques, « comment se rapprocher dorénavant des clients dans des sphères virtuelles ? » interroge-t-elle.

>Y a-t-il eu nécessité de continuer à recruter de nouveaux collaborateurs pendant cette période ?

Dans des Maisons comme la SG ou BNPP, le recrutement est un processus continu et donc, oui, les mouvements se sont maintenus mais les mobilités internes ont été privilégiées ;  elles n’ont pas été exclusives chez BNPP là où certaines géographies requéraient des recrutements externes. La banque a par ailleurs poursuivi les programmes de certification externe des collaborateurs qui rejoignaient la banque privée, l’organisme de certification s’adaptant au contexte et proposant de faire passer les épreuves orales à distance, raconte Guillaume Brateau.

> Quelle créativité pour répondre aux clients ?

Tant chez SG que BNPP, les banquiers privés ont utilisé (enfin) tous les outils mis à disposition par la banque pour parler aux clients. Avec chez BNPP, en particulier la transformation des événements ‘physiques’ en événements ‘visio’ ; résultat, certains clients qui n’avaient jamais pris le temps de se rendre aux invitations de la banque privée ont pu apprécier ce nouveau format moins chronophage et ciblé sur des thématiques d’intérêt pour eux. Certains pourront regretter, néanmoins, le cocktail de clôture.  Chez SG, « on a découvert le webinar Client » révèle Olivier Paccalin ; un canal qui a également été largement développé en interne par la communauté des ingénieurs patrimoniaux qui ont dispensé de nombreuses sessions de formation avec des taux de participation très élevés. Le webinar a été un véritable accélérateur pour la formation et un moyen de faire vivre cet esprit collaboratif … qu’il faut conserver à tout prix ! D’où la question que pose Silvia  Bocchiotti : « comment se différencier dans un univers numérique beaucoup plus banal ? » Sans nul doute avec de nouveaux services et du conseil …

> Une accélération notable des tendances ?

Mention est faite de deux sujets qui se sont invités dans l’agenda de la BCE, à savoir le changement climatique et la protection de la biodiversité. Et puis, outre les modèles de prévisions économiques et les stress tests opérés par les banques qui se sont multipliés tout en s’affinant, il y a incontestablement un essor des produits ESG, solidaires et à impact. Sachant que, rappelle Olivier Paccalin : « dans cette crise, les indices ESG ont globalement mieux résisté que le mainstream ». On peut sans doute s’attendre aussi à ce que la fiscalité soit revisitée, ce qui justifie largement le métier de la Banque Privée car le client aura plus que jamais besoin d’être accompagné pour mieux comprendre les changements induits et les choix qui s’offrent à lui, notamment au regard de la philanthropie, en fonction de la nature même du combat qu’il souhaite soutenir. Guillaume Brateau confirme cet intérêt croissant des clients pour l’ISR qu’ils expriment à travers leur questionnement ; lequel est facilité depuis peu par MyImpact,  simulateur digital développé par la banque qui permet de définir le profil d’investisseur responsable de chaque client pour lui proposer ensuite la solution adaptée selon son niveau d’engagement et d’appétence pour soutenir une cause particulière ou un des 17 ODD. En cette période de confinement, la banque a ainsi envoyé à ses clients le lien fournissant la connexion avec MyImpact et obtenu un taux de réponse très élevé démontrant qu’ils  étaient nombreux à raisonner en termes d’exclusions de secteurs, d’entreprises etc. ; d’où un gros travail requis de cartographie de toutes les offres disponibles.

> Un impact plus général sur la gestion d’actifs en France ?

Silvia Bocchiotti évoque l’enjeu de la prochaine génération, ces Millenials qui sont à la fois très digitalisés et très engagés : concrètement, ils sont à la recherche de projets à impact. Et donc dans ce transfert de richesses entre générations que les banques privées vont naturellement accompagner, se pose l’enjeu de l’ESG. Et Silvia d’insister sur la nécessité de comprendre la motivation de ces jeunes. « On est dans un point de bascule », renchérit Guillaume Brateau pour qui ces critères extra-financiers deviennent financiers. Et la banque est prête à renoncer à certaines offres si elles ne répondent pas un objectif de rentabilité durable. Olivier Paccalin confirme, de son côté, que tout le monde - asset managers, régulateurs et, bien sûr, banquiers privés - travaille à cette montée en puissance des critères ESG dans des univers de gestion qui, par ailleurs, conjuguent titres vifs, fonds  et ETF. Ceux-ci sont amenés à faire partie du paysage durablement car ils répondent aux (nouvelles) exigences des clients en termes de simplicité des produits, lisibilité et baisse des frais.

> Face aux enjeux de l’après confinement, qui doit être le moteur ?

Force est de constater que tant la BCE, les Banques Centrales que les Etats ont fait le job. Et nos banquiers privés de se féliciter que, contrairement à 2008, cette crise n’est pas une crise de confiance vis-à-vis de la Banque. En témoignent tous ces clients qui remercient leurs banquiers privés en utilisant différents canaux. Certes, les acteurs susmentionnés ont un rôle à jouer  mais le soutien apporté notamment via la garantie d’un prêt - distinct de son financement - ne saurait suffire. Et donc, déclare Guillaume Brateau : « il faut aussi que la puissance individuelle, la sphère privée, familiale prennent le relai ». Et Silvia Bocchiotti de rebondir : « le strict cadre financier doit être dépassé […] Une réponse doit être apportée par les entreprises responsables » et la philanthropie est une des pièces du puzzle pour à la fois diminuer les inégalités et protéger l’environnement dans la mesure où elle favorise l’alignement des intérêts économiques avec les valeurs. De toute façon, il faut que l’argent privé pallie les insuffisances étatiques et Silvia illustre son propos en citant l’émergence de structures hybrides réunissant l’Etat, le Philanthrope et l’Entreprise.

> La réglementation risque-t-elle d’étouffer le développement de la digitalisation ?

Non seulement les régulateurs ont quelque peu fait évoluer le regard qu’ils portaient sur le digital
- un dialogue s’est établi avec eux dans ce sens - mais, en outre, celui-ci est un moyen de simplifier les contraintes réglementaires qui pèsent tant sur les banquiers privés que leurs clients.

> Les challenges pour la profession dans les prochains mois : une redéfinition du sur mesure ?

L’augmentation de l’incertitude et donc du questionnement des clients va générer beaucoup de travail. Aussi, pour Olivier Paccalin, tout l’enjeu peut se résumer à : «  connaître son client et le formaliser au travers en partie d’outils digitaux, accepter la désintermédiation et laisser la banque parler au client, savoir choisir son combat et se mettre au bon niveau en se concentrant sur la connaissance intime de son client ». Guillaume Brateau, de son côté, considère qu’il convient de continuer à capitaliser sur les fondamentaux de la profession, et donc met en avant « tout ce qui est de nature à renforcer la proximité et l’intimité » ; sachant que c’est une génération avec de nouvelles attentes requérant de nouveaux codes, logiciels etc. ;  la clientèle de startuppers en est une bonne illustration.

> Quel est le destin des projets prévus avant la crise ?

Il serait vain de nier l’impact de la crise sanitaire qui crée une pression supplémentaire sur les capacités d’investissement des Maisons. Il faut bien évidemment pousser les feux sur le digital, une décision loin d’être neutre en termes de coût. C’est pourquoi Olivier Paccalin souligne le nécessaire courage managérial dans les décisions d’investissement et arbitrages y afférents pour préserver la capacité à satisfaire les clients. Guillaume Brateau confirme la présence de cette pression qui doit amener chacun à « changer ses habitudes, développer moins de choses in-house et davantage en nouant des partenariats pour aller chercher des solutions existantes ». Et, de façon pragmatique, raccourcir la durée des projets  permettra de dépenser moins d’argent. Enfin, selon Silvia Bocchiotti, le monde bancaire va de plus en plus se tourner vers les services et les histoires à raconter aux clients car ce ne sont pas les produits qui vont faire la différence.

> L’Etat aura-t-il besoin d’aider les banques ?

Une question qui permet de conclure les débats sur une note optimiste … Les Banques françaises sont arrivées dans la crise plus solides que jamais avec un niveau de fonds propres et de liquidité très élevé. Les Banques Privées, quant à elles, sont là pour servir leurs clients et à travers l’asset management et le crédit, elles marquent aussi leur présence et leur soutien à l’économie réelle.