Paris, 9 juillet 2019

La modération de la table ronde consacrée à la thématique « Gouvernance : encadrer la réussite » - laquelle s’inscrivait dans le programme des conférences[i]  dédiées aux enjeux professionnels et familiaux des entrepreneurs et dirigeants - m’a amenée à réfléchir aux vertus de la gouvernance sur l’ensemble des phases de développement de l’entreprise, en intégrant le cas échéant la dimension familiale. Et les intervenants composant le tour de table[ii] se sont ainsi attachés à apporter leurs témoignages respectifs au regard de leur domaine d’expertise, dans un périmètre circonscrit à la réussite du dirigeant et de ses principales parties prenantes, à savoir : actionnaires, collaborateurs et clients.

Pour mémoire, il convient de  redonner à la fois la définition de la gouvernance - organiser la manière dont s’articulent les trois pouvoirs que sont le pouvoir des actionnaires, le pouvoir exécutif, le pouvoir de surveillance qui fondent tout système de gouvernance d’entreprise et son enjeu majeur - être au service de la transformation de l’entreprise, inscrire le développement de celle-ci, quel que soit son stade de maturité, dans une trajectoire dynamique et pérenne  -. Ce qui suppose une direction parfaitement réfléchie et articulée, une vision claire de ses objectifs, de sa mission et de ses valeurs. Bref un jeu d’hypothèse qui, s’il était avéré, concourrait à mettre au chômage un certain nombre de professionnels libéraux dont la consultante que je suis.  

Au regard du temps imparti, nous avions de façon arbitraire décidé de nous focaliser sur trois thématiques : la cession/transmission d’entreprise, les sociétés entrepreneuriales et familiales, les start-up. Plutôt que de reprendre de façon linéaire les prises de parole des conférenciers, il me semble plus opportun de mettre en exergue les quelques grands messages qui ont été délivrés.

Affectio societatis, affectio familiae : ce petit supplément d’âme, l’élément intentionnel qui caractérise et définit la société

Quels que soient les règles, les organigrammes, les procédures, aucune entreprise ne peut durablement se développer sans que prévale un intérêt supérieur, l’affectio societatis qui donne à l’organisation à la fois son sens et sa raison d’être. Quand l’entreprise est familiale, elle superpose deux modèles : celui de la famille et celui de l’entreprise et ce faisant, deux registres : celui de l’émotionnel, de l’affect, et celui du rationnel. Mais l’affectio familiæ qui traduit ce « vouloir vivre ensemble familial » va au-delà du prolongement psychologique de l’affectio societatis et Christophe Achard nous a rapidement rappelé les critères majeurs permettant de qualifier cet affectio familiæ au sein d’une Famille qui ont identifiés par la Commission Gouvernance Familiale de l’AFFO[iii] dans son Libre Blanc éponyme que je vous invite à consulter. Dans tous les cas, le ferment de cohésion interne à l’entreprise, c’est le partage d’une vision qui s’inscrit dans le long terme - par nature, elle est transgénérationnelle quand l’entreprise est familiale - et qui s’appuie sur un référentiel de valeurs commun pour venir nourrir à la fois l’envie et l’ambition de travailler et de grandir ensemble. C’est ce qui fait dire au Family Officer que l’identification de l’affectio familiae et son appropriation par l’ensemble des membres de la famille constitue la 1ère étape de la construction d’une gouvernance familiale. Il est toujours temps ensuite de s’intéresser à la mise en place d’une charte familiale ou d’un conseil de famille à côté, le cas échéant, des outils de la gouvernance d’entreprise.

Ecoute, empathie, éthique : les trois qualités maîtresses dont les conseils du dirigeant actionnaire doivent se prévaloir en sus de leurs expertises

Au fil des ans, le dirigeant actionnaire, familial ou pas, a vu s’étoffer le réseau de conseils experts qui se propose de l’accompagner dans ses réflexions et opérations de cession/transmission. Peu importe l’ordre de leur apparition à ses côtés, on peut citer : le notaire, l’avocat fiscaliste, l’expert-comptable, le banquier corporate et/ou privé, le family officer. Et ce dernier, particulièrement bien placé pour animer de façon objective cette pluridisciplinarité, n’hésite pas à faire intervenir, le cas échéant, un psychologue pour aborder en particulier les questions de rapports humains susceptibles de générer des conflits ; lesquels ne peuvent trouver parfois de dénouement heureux qu’avec l’aide d’un médiateur. Si tous ces experts ne sont pas interchangeables, loin s’en faut - leurs champs de compétences  respectifs sont bien identifiés et leurs expertises très pointues sont souvent requises pour traiter des situations complexes -, en revanche, ils doivent démontrer des soft skills communs pour susciter la confiance de leur client et savoir travailler en bonne intelligence pour le bien et l’intérêt de celui-ci.. En effet, quel que soit le conseil qui a le leadership sur ce workflow d’experts, il doit effectuer un travail de coordinateur des travaux réalisés par ces derniers qui suppose une légitimité lui conférant une autorité naturelle et fait appel à son esprit d’équipe ainsi qu’à ses qualités d’écoute.

Dirigeants start-uppers, dirigeants cédants, même combat !

Combien il est étonnant de constater que si les start uppers n’ont pas de schémas de gouvernance en tête, leurs aînés ne sont guère mieux dotés, en particulier lorsque l’entreprise est une PME entrepreneuriale. C’est souvent au moment où se dessine un projet de cession/transmission que se révèlent d’ailleurs les carences voire les déficits en matière de gouvernance. Et c’est pourquoi tous les experts s’accordent à attirer l’attention sur la nécessité de préparer le plus en amont possible une telle opération qui est au service d’un projet d’entreprise long terme. Et de citer en vrac quelques situations constituant de véritables freins : le dirigeant est seul actionnaire et maître à bord sans ligne de rappel possible en interne s’il venait à disparaître de la scène, le capital et le pouvoir sont partagés à hauteur de 50% mais les deux dirigeants ont une différence d’âge marquée et l’heure de la sortie ne sonne que pour l’un des deux, plusieurs blocs familiaux cohabitent avec des motivations et/ou des intérêts qui divergent au regard de l’entreprise et du rôle auxquels ils aspirent d’y jouer, le père de famille envisage de céder les rênes à l’un de ses enfants sans avoir vérifié préalablement si celui-ci en avait l’appétence ou la compétence.

Si tout dispositif de gouvernance doit prendre en compte les spécificités de la mission de l’entreprise, de ses activités et de son organisation, il doit aussi intégrer les exigences nées de la composition du capital ou encore la maturité de leurs fondateurs et de leurs dirigeants qui sont souvent les mêmes au départ du projet d’ailleurs. Il est amusant de noter qu’il est souvent recommandé à ces derniers, une fois leur envol pris, de mettre en place un Comité Stratégique - un Advisory Board - ayant pour objet de jouer le rôle de miroir bienveillant qui questionne leur stratégie et les éclaire sur les orientations à prendre ; sachant que ce Comité Stratégique a vocation, quand la croissance est bien sûr au rendez-vous, à céder la place à un Conseil d’Administration ou de Surveillance en bonne et due forme, ce dernier donnant lieu de façon concomitante à la création d’un Comité de Direction. Et si l’on considère maintenant les sociétés matures qui fonctionnent sur un mode de gouvernance monal ou dual, nombreux sont les dirigeants qui dénoncent le manque d’efficience de leur dispositif en vigueur, même lorsqu’ils ont ouvert leurs Conseils à des administrateurs externes et, plus récemment, à des salariés. Aussi aspirent-ils à créer, en plus de leurs Comités Spécialisés devenus toujours plus prolifiques, un Comité Stratégique - ce que VEOLIA appelle le Comité des Critical Friends - les incitant à retrouver cet état d’esprit frondeur nécessaire pour aborder les projets de transformation, notamment sociétaux et digitaux, que notre environnement actuel leur impose. Comme quoi les recettes d’une bonne gouvernance s’appliquent à tout stade de développement de l’entreprise et à tout âge du (ou des) capitaine(s) à bord.

Où il est question de méthode, de coordination, de communication 

C’est un registre qui m’est familier puisque la conduite de projet est l’outil premier du consultant ; il suppose de respecter un process dans le déroulement des étapes de tout projet, de savoir coordonner dans le respect du planning les travaux de tous les maîtres d’œuvre qui y contribuent sur tout ou partie du cycle, de faire campagne (de communication) et ainsi accompagner le changement. Et le point de départ est bien la définition du projet dans son « quoi, pourquoi » qui appelle un exercice de formalisation du projet et de son ambition pour faciliter leur appropriation par les parties prenantes et recueillir leur adhésion. Tous les experts autour de la table ont insisté sur l’importance de formuler une vision partagée du projet d’entreprise, de la mission et des valeurs sous-jacentes. Dans le cas des entreprises familiales, force est de reconnaître que les enfants ne connaissent pas toujours l’histoire de l’entreprise ni celle de la famille ; difficile dans ces conditions de susciter leur vocation de successeur. La charte familiale qui décrit les fondements des principes que la famille envisage de suivre dans le cadre de la gouvernance de l‘entreprise familiale peut servir aussi ce dessein et devenir la mémoire de l’histoire familiale. Ce faisant, elle participe aux efforts de communication qui s’imposent et ce, quels que soient les contextes de création d’entreprise. Souvent les premiers mois de dialogue incessant entre les fondateurs ont laissé la place à des années d’implicite et de frustration larvée. Et les pactes d’actionnaires, au demeurant fort utiles pour définir les règles du jeu qui président au partage des pouvoirs et des actifs, ne sauraient suffire à prévenir les conflits latents. Les familles constituent également un terreau fertile de non dit et zones d’ombre voire tabous ; souvent les séminaires qui leur sont dédiés ont pour objectif premier de recréer du lien.

Quant aux start-up qui font florès sous l’impulsion de l’avènement d’internet et du digital, il faut inciter leurs jeunes fondateurs et associés non seulement à rédiger très tôt un pacte d’associés, mais également à s’ouvrir sur d’autres secteurs d’activité et rencontrer des dirigeants et actionnaires qui ont de l’expérience et dont certains peuvent, en outre, assurer auprès d’eux une forme de parrainage. Ces liens, intergénérationnels par essence, constituent un vrai enjeu ne serait-ce que parce que les codes, les modes et les outils de communication sont différents. Sans compter la posture de certains jeunes qui sont en rupture avec les schémas ou les références de leurs aînés.

La gouvernance d’entreprise de demain, ce sera quoi ?

Dans son « Panorama de la Gouvernance 2018 », le cabinet EY constatait qu’après des années de progrès continus, la Gouvernance d'entreprise en France avait atteint un bon niveau de maturité. Et de citer l’évolution favorable d’indicateurs de type : parité, indépendance, diversité des nationalités ou des compétences, niveau d’implication, ampleur des thèmes de travail… De là à penser que les Conseils étaient prêts à relever les défis de demain, rien n’était moins sûr. Alors il est vrai que les débats intenses autour du PACTE[iv], dont l’objectif affiché d’emblée était la réforme ambitieuse de l’entreprise et de sa gouvernance, ont fait couler beaucoup d’encre et suscité beaucoup d’espoir. Mais lorsque j’ai invité les 4 experts qui composaient mon tour de table à mettre en perspective la gouvernance, sous l’impulsion précisément du PACTE, je n’ai pas eu le sentiment qu’il y avait un avant et un après PACTE. En revanche, tous ont clairement exprimé l’impact de la montée en puissance des nouvelles générations qui imposent, de fait, des règles du jeu un peu différentes en créant davantage de passerelles entre les parties prenantes de l’entreprise ; bref, ils témoignent de leur envie d’influencer la gouvernance des entreprises en posant des actes davantage qu’en formulant des concepts. Gageons que dans cette mouvance la gouvernance non seulement continuera d’encadrer la réussite entrepreneuriale mais, de surcroît, deviendra le territoire d’avenir pour y développer de l’impact investing, lui conférant ainsi la dimension RSE que les auteurs du PACTE ont appelée de leurs vœux.

 

[i] Sommet du Patrimoine & Performance organisé le 27 juin dernier par Décideurs Magazine
[ii] Christophe Achard (Intuitae), Laurent Guilmois (Lacourte Notaires), Stéphane Maljevac (Crédit du Nord), Sisouphan Tran (Finaveo Partenaires)
[iii] Association Française du Family Office - Livre Blanc « la gouvernance familiale »
[iv] Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises