Paris, 18 juin 2019

Alors que tous s’accordent sur le caractère anxiogène des évolutions de marchés et des perspectives géopolitiques, sur la dualité d’une réglementation qui joue à la fois le rôle de frein et de moteur de développement, sur la nécessaire transformation digitale de nos organisations pour gagner en productivité tout en rendant plus heureuse l’expérience client, il est un domaine qui suscite des débats sans fin et des positions extrêmes : j’ai nommé la Responsabilité Sociale ou Sociétale des Entreprises (RSE). Les partisans les plus ardents mettent en avant les valeurs qu’elle induit en matière d’engagement, d’utilité, de transparence, de responsabilité - exprimant la volonté de penser différemment le rôle de l’entreprise - quand les détracteurs non moins exaltés répondent par effet de mode, posture de communication, green/socialwashing voire bullshit ; comme en témoigne ce verbatim récemment épinglé dans un article intitulé « le mythe de la RSE » publié sur le site du think tank Entrepreneurs pour la France, je cite « La RSE est ainsi devenue un business en plaine croissance. Elle a la faveur de nombreux dirigeants de grandes entreprises car elle leur permet d’améliorer leur image et les protège des OPA et des actionnaires activistes, et même de la concurrence ».

Or s’il est bien un sujet qui ne saurait faire débat, c’est bien la RSE ! Et je parle bien de RSE et non d’ISR, d’ESG, développement durable ou autre élément d’une taxinomie foisonnante qui a pour effet (pervers) de créer la confusion des sens là où elle devrait viser simplicité et lisibilité. Il ne s’agit de ma part ni de militantisme - je ne suis pas une consommatrice de la première heure des produits BIO - ni d’intime conviction quant à l’urgence climatique qui nous oblige à agir. C’est ma position de consultante et le regard que je porte sur les modèles de développement des acteurs, qu’ils interviennent ou pas dans mon écosystème, qui m’amènent à reconnaître dans la RSE une vertu première, à savoir : elle dicte la raison d’être des sociétés, elle confère une ambition sociale au projet d’entreprise, elle porte les valeurs de notre société en pleine mutation et ce faisant, elle encourage la responsabilité individuelle et collective avec son corollaire, des comportements courageux. Un discours qui devrait parler à nous tous, dans notre rôle d’agents économiques mais aussi de tuteurs parentaux. Least but not last, elle confère une cohérence d’ensemble perceptible par toutes les parties prenantes de l’entreprise à une stratégie et à sa déclinaison opérationnelle : « Peut-on décemment faire de l’ISR si on n’est pas en même temps soi-même RSE ? » interrogeait François Mollat du Jourdin lors de la NJGP 2018. Et pour les dirigeants les plus pragmatiques qui gardent en ligne de mire le seul objectif de générer des revenus et maximiser le profit, qu’ils sachent que de plus en plus d’études académiques montrent une corrélation positive entre la RSE et les résultats financiers … des conclusions qui font écho à celles des analyses encore plus nombreuses pour démontrer que, sur la durée, la gestion ISR performe davantage que celle qui fait l’impasse sur des critères extra-financiers.

Une fois rappelés le quoi, pourquoi de la RSE, passons au comment. Et c’est là que le bât blesse, encore plus. Plutôt que paraphraser Gildas Bonnel, Président de l’agence Sidièse, dans l’interview qu’il donne sur notre sujet, je vous propose de découvrir son interview car je trouve ses propos remarquables ; et je vous invite à en reprendre certains éléments structurants à la lumière des pratiques en matière de gestion d’actif et de banque privée.

Levier de transformation des modèles ou simple campagne d’image ? Au risque de me mettre à dos certains dirigeants de Maisons dans notre secteur d’activité sur notre marché domestique, force est de regretter l’absence de véritables patrons inspirants à la façon d’un Emmanuel Faber, Président de Danone. Or il n’y a pas de transformation sans leader… Même si je dois reconnaître la force de conviction et la qualité du travail fourni sur le plan à la fois pédagogique et opérationnel par certains professionnels référents ISR dans leurs banques ou sociétés de gestion respectives. Ceci dit, la RSE s’invitant de plus en plus dans les débats de place et la Finance Responsable ou Positive dans les remises de prix, difficile de ne pas constater à la fois le déficit d’engagement au plus haut niveau et la multitude de discours et postures qui se limitent à souligner les uns, les efforts pour intégrer dans les offres des produits répondant aux critères ESG, les autres, les projets de labellisation de fonds. Et je ne saurais taire ici la position extrême affichée par une banque et relayée récemment par le patron de la banque privée : « on ne se bat pas dans le domaine de la RSE, tout le monde y va » alors que, précisément, la promesse induite par la raison d’être de l’entreprise confère à cette dernière un atout différenciant. Dans la gestion d’actifs, par ‘opposition’ à la banque privée, les producteurs sous l’impulsion à la fois de leurs pairs à l’international et des investisseurs institutionnels ont posé des actes, à l’image de LBPAM qui a exprimé son ambition citoyenne en s’engageant à devenir 100% ISR en 2020. Mais de là à avoir véritablement revisité son business model comme l’ont fait des acteurs dans d’autres secteurs d’activité en faisant des choix structurants sur tous les invariants de leur modèle économique, on n’en est encore loin me semble-t-il. Alors puisque producteurs et distributeurs sont en manque d’inspiration ou de conviction pour s’approprier véritablement le bienfondé de la RSE, allons investiguer du côté des investisseurs.

Vrai critère de préférence pour les investisseurs ou seuls les labels sont-ils plébiscités ? Il est étonnant combien les avis divergent d’un établissement à l’autre ! A en croire les uns, les clients recherchent uniquement de la performance, concédant un « tant mieux si, de surcroît, elle est générée par une gestion répondant aux critères ESG », quand les autres qui revendiquent leur expérience terrain vous disent à l’unisson « tous les clients y sont sensibles » et s’ils conviennent que rares sont encore les investisseurs retail (par opposition aux institutionnels) qui spontanément expriment leurs besoins en matière d’investissement responsable - tout simplement parce qu’ils ne possèdent pas le vocable approprié là où les investisseurs institutionnels ont pu et/ou su normer leurs objectifs ISR - , en revanche, ils sont nombreux à adhérer à des propositions d’allocation et d’investissement qui satisfont à leur recherche d’impact - plus que de sens, en réalité -. A titre d’exemple, la dernière enquête Clients que j’ai réalisée auprès des clients privés d’une jolie Maison de la place a mis en exergue la tendance suivante : si quelque 55% des sondés se disaient désintéressés par une offre dédiée ISR doublée d’un positionnement RSE assumé par la Maison, car confiants de l’éthique avec laquelle celle-ci exerçait son métier, 45% ont manifesté leur appétence pour à la fois cette posture engagée au niveau institutionnel et une offre étoffée en matière d’ISR, ne serait-ce qu’à travers quelques fonds thématiques. 45% de clients, toutes classes d’âge confondues - il ne s’agit pas d’un signal faible.

Faut-il appeler de ses vœux toujours plus de labels ? J’ai l’impression qu’ils sont davantage utiles pour guider les conseillers dans leur sélection de fonds que pour attirer les investisseurs finaux que l’on sait surtout avides de belles histoires ; et elles n’en manquent pas dans le domaine de l’ISR et, en particulier, de l’impact investing.

Quant à la réglementation, là aussi elle influe en premier lieu l’offre et le discours commercial : quand la loi PACTE verdit l’assurance vie en obligeant la profession à proposer une UC labellisée ISR,  la version 3 de la directive MIF devrait consacrer également la prise en compte de cette thématique dans le questionnaire Client à partir duquel se définit son profil de risque.

Saluons l’initiative de BNP Paribas Banque Privée qui préfigure d’une certaine manière MIF3 en ayant conçu un questionnaire à destination des clients pour créer leur profil d’impact, en complément de leur profil financier : « le banquier se forme à ces questionnaires, il commence à connaître ses clients sur des sujets innovants […] ça le rend fier de faire son métier, cela donne du sens à son métier » témoignait Eleonor Bedel lors de la dernière édition du Forum de l’Agefi de la Gestion Privée. Car force est de reconnaître que le premier frein au déploiement de l’ISR dans la banque privée reste le manque d’éducation et/ou de sensibilisation des banquiers et conseillers privés. Sachant que même lorsque leur Maison met à leur disposition formation et argumentaire commercial ad hoc, sans conviction avérée ils ne vont pas les appliquer lors de leurs rendez-vous commerciaux. Après avoir écouté adeptes et réfractaires au sein de la profession, il me semble intéressant de relever l’effet ‘empathie’ qui constitue le fondement même de la relation conseiller/client privé et qui débouche sur la situation suivante : les clients très engagés vont susciter chez leurs conseillers l’envie de se former pour les satisfaire ; ce faisant, ils vont devenir les meilleurs ambassadeurs du sujet ; et quand le sujet est mis sur la table à l’initiative des conseillers « nous, nous savons que vous pouvez avoir un impact avec votre argent ; est-ce que çà vous intéresse ? », à l’appui notamment des ODD ils vont créer de la curiosité chez leurs clients : ceux-ci commencent à y goûter et ils en redemandent eux-mêmes ensuite.

Comment aller plus loin ? En invitant l’ensemble des parties prenantes à travailler de concert dans un alignement d’intérêts vertueux. Car aujourd’hui elles sont toutes au milieu du gué, poussées par des vents parfois contraires. Quelle direction prendre si ce n’est celle du (bon) sens ? La RSE ne nous ouvre-t-elle pas la voie ? Nous vivons une transformation qui s’est accélérée, que ce soit sous l’influence des marchés et des tendances géopolitiques, des réglementations, de la lame de fond du digital ou de l’arrivée sur le marché de nouvelles générations dotées de nouveaux codes et de valeurs différentes de celles de leurs aînés. Il en est une qui semble faire l’unanimité, c’est la sincérité avec laquelle ils attendent de la part de tous les agents économiques un engagement vis-à-vis de la société, de l’environnement, de la planète. Alors oui, c’est une posture quelque peu utopique ; mais je revendique le droit d’être naïve plutôt que cynique.