Paris, 4 juillet 2018

A tous ceux qui prédisent la disparition du banquier privé, je m’inscris en faux, notamment après avoir entendu quelques patrons de belles Maisons débattre de l’avenir de la Banque Privée en France à l’occasion de notre dernière Nouvelle Journée de la Gestion Privée qui s'est tenue le 13 juin dernier. « Le banquier privé a un tapis rouge devant lui parce que le métier va être passionnant, mais ce n’est plus du tout le même banquier » résume assez bien la position consensuelle des membres de la profession. Aussi je vous invite à décrypter le nouvel archétype d’une profession au vocable devenu quelque peu désuet dans cet écosystème en constant mouvement …  

Cessons d’être dans le déni, MIF2 est un cauchemar et c’est votre lot à tous

Quels que soient les Maisons et les modèles, MIF2 est venue complexifier la donne, c’est une évidence. D’abord parce que vous êtes tous confrontés à « l’enfer blanc » de cette paperasserie que représentent en particulier le KYC perçu comme un outil digne de l’Inquisition, le questionnaire MIF qui, à l’instar des quizz scolaires, est un révélateur du déficit de connaissances financières de tout un chacun, sans parler du formalisme décuplé autour de l’Advisory qui casse la spontanéité des conseillers etc. Résultat, les banquiers privés passent beaucoup plus de temps sur ces sujets réglementaires - 50 à 70% selon les organisations - alors qu’ils aimeraient en consacrer l’essentiel à leur activité commerciale. Dont acte. Mais avec la conformité digitale que tous les acteurs appellent de leurs vœux  - qui progresse à vitesse V et qui finira par être opérationnelle et accessible dans tous les établissements -, un retour à la normale va s’opérer pour le banquier privé, tout en sachant que le digital le placera dans un rapport désormais côte à côte et non plus face à face avec ses clients. 

Revisitons la connaissance client à la lumière des nouveaux standards de la profession …

Le client n’est pas réductible à un portefeuille de valeurs financières et la connaissance en profondeur requise pour une juste proposition de valeur ne saurait se limiter  au KYC réglementaire. En effet, derrière un patrimoine se cache un groupe familial sur plusieurs générations, à la fois héritier d’un passé et d’une histoire parfois complexe voire douloureuse et doté d’une ambition ou d’une vision pour son avenir et celui de son environnement. C’est pourquoi le banquier privé - dont la mission première consiste à retracer et comprendre les arcanes de chaque histoire individuelle - reste LE dépositaire de la confiance du client et c’est à ce titre qu’il doit définir avec ce dernier les modalités nouvelles qui régiront leurs relations ainsi que les canaux et supports de communication sous-jacents. Parce que si le potentiel annoncé du Big (ou Smart) Data a suscité chez vous quelques espoirs, ne serait-ce que pour développer cette pro-activité qui vous a fait si souvent défaut, force est de reconnaître que l’entrée en vigueur en mai dernier de RGPD vous a brutalement ramenés à la réalité : qu’est-ce que le client vous autorise à faire avec toute cette information collectée dans vos bases CRM que vous détenez sur lui ? Des limites des nouvelles technologies ! D’ailleurs, dans ce contexte réglementaire et digital, nombreuses sont les banques privées à avoir misé sur la seule qualité de la relation qui existait entre les banquiers et les clients privés et elles n’ont pas eu à s’en plaindre, les résultats enregistrés ces derniers mois en témoignent.

… ainsi que la segmentation

Faut-il rappeler que la Banque Privée est un métier de luxe et les banquiers privés des produits de luxe qui participent à la proposition de valeur des Maisons ? Et donc à l’heure de revoir celle-ci, notamment sur l’axe conseil en investissement et gestion sous mandat, MIF2 et DDA obligent, il est un segment de clients qui s’est imposé de lui-même avec un dénouement, dans certains établissements, qui a suscité moult commentaires à la fois en interne et sur la place, j’ai nommé le segment des ‘petits’ clients. Alors oui, certains d’eux, en d’autres temps, ont été qualifiés - et donc traités comme tels - de clients ‘haut de gamme’. Hélas leur vieillissement inexorable, la consommation de leurs revenus et l’inflation des tickets d’entrée en Banque Privée sont autant de facteurs qui ont conduit à leur déclassement naturel. Aussi les banquiers privés voient-ils progressivement sortir de leur champ d’action ces clients vis-à-vis desquels ils ne pourraient exercer tout leur art et leurs Maisons afficher leurs différences. Sans compter que, du propre aveu de leurs dirigeants, ces ‘petits’ clients leur coûtent cher dans le contexte réglementaire actuel. Et donc quand ils sont maintenus dans l’entité, ils font l’objet d’une organisation spécifique. Car on l’aura compris, si tant d’acteurs aspirent à relever leur seuil d’éligibilité, c’est parce que plus ils montent en gamme, plus ils peuvent être très différenciant. Et les banquiers privés disposent alors d’une palette de services et de conseils à la fois profonde et large - les basiques restant la GSM, le crédit et l’ingénierie patrimoniale - requérant suffisamment d’expertises pour créer de la valeur qui soit tangible pour les clients bénéficiaires. Outre cette promesse, ce sont aussi de très belles histoires que génèrent tous ces actifs cotés ou non cotés, investissements passion ou investissements à impact,  philanthropie ou mécénat. Dans un tel contexte, je ne suis pas sûre que la segmentation fasse encore sens, vous allez préférer jouer sur l’un ou l’autre paramètre de la proposition de valeur en fonction du profil et des attentes du client : intensité de la relation, accès à un service ou une expertise spécifique, dérogation tarifaire etc.

Et donc, la mission du banquier privé, si vous l'acceptez …

Le banquier privé est celui qui met en musique l’offre de la banque. C’est pourquoi, quel que soit le modèle qui guide le développement de cette dernière, il a quitté son habit d’homme orchestre et endossé celui de chef d’orchestre. Le métier s’est transformé, il faut mettre des experts face aux clients mais le rôle qui incombe au banquier privé dépasse largement celui d’un simple généraliste ; même s’il sait précisément pouvoir et devoir être accompagné d’experts :

Ainsi, le banquier privé devient l’animateur d’une expertise collective qui, suivant la coloration dont elle est empreinte, lui confère l’étiquette de Family Officer, de Family Business Officer, de Private Investor Banker ou encore Banquier Conseil. Et pour les derniers Mohicans qui s’arc-boutent sur le maintien inconditionnel des banquiers gérants, force est de constater que, eux aussi, « ils ont une responsabilité transversale et sont les animateurs d’une intelligence collective ».  C’est le sens de l’histoire …

… avec, à la clé, un Management qui sait aussi s’impliquer et se remettre en question

Vous l’aurez compris : le banquier privé n’est plus seul, il travaille avec une équipe qu’il valorise et qui le valorise. Et pour réussir dans l’accomplissement de cette mission, plusieurs conditions sont à remplir préalablement et qui sont du ressort du Top Management. Parce que, eu égard aux changements qui affectent le métier, le Management est obligatoirement impacté et il est de sa responsabilité de redonner aux banquiers privés à la fois l’envie, le plaisir et la fierté de faire leur (nouveau) métier. Comment ?   

Ce faisant, les banquiers privés (re)trouveront un sens à leur mission et deviendront aussi les meilleurs ambassadeurs de leurs Maisons pour incarner une démarche RSE face à des clients qui ont envie de donner un sens à leur patrimoine, même s’ils ne le savent pas toujours.

Alors aux banquiers privés seniors et juniors de la place qui s’interrogent (encore) aujourd’hui sur leur devenir, dites-vous que « le métier se transforme et ceux qui sont dedans ont un atout pour participer à cette transformation ».

De quoi avoir envie de relever le défi, non ?